Minobusan: Un Voyage au Cœur de la Spiritualité et de la Tradition Culinaire Japonaise
par Mathilde Serre Mays
Niché dans les montagnes de Yamanashi, à environ deux heures de Tokyo, Minobusan est un village parsemé de trente temples, berceau de la secte bouddhiste Nichiren-Shū depuis huit siècles. Ce n’est pas la première fois que je m’y rends, et en séjournant à l’auberge traditionnelle Kakurinbo – qui fait partie de l’un des vingt temples qui offrent l’hébergement – je suis toujours séduite autant par l’atmosphère de quiétude qui en émane que par la convivialité des personnes que j’y rencontre et la diversité des activités proposées. Une synergie idéale à la fois pour prendre le temps, se ressourcer, comme en apprendre davantage sur la culture et la gastronomie japonaise et bouddhiste.
Cette fois-ci ma venue, mi-janvier, tombait pendant koshōgatsu (小正月 littéralement le « Petit Nouvel An »), qui clôture les célébrations de la nouvelle année. En compagnie des habitants du minuscule hameau de Misato, appartenant à la commune voisine d’Hayakawa, j’ai donc eu la chance de participer à mon premier « Dondoyaki ». C’est au cours de ce festival que les Japonais brûlent traditionnellement toutes les décorations du Nouvel An utilisées durant les semaines précédentes.
Enveloppés par la chaleur du feu autour duquel nous nous étions regroupés à la lueur des étoiles, nous avons tous fait griller les mochibana préparés par nos soins juste avant : il s’agit de boulettes de riz dango mochi roses et blanches que nous avions roulées puis piquées sur des branches de prunier, représentant des fleurs. Si manger des dango est une tradition associée aux prières pour la bonne santé, cette fête est également pratiquée par les agriculteurs dans l’espoir de récoltes prospères.
Après Misato, j’ai pu lors de ce séjour découvrir deux sites assez hauts perchés d’Hayakawa, qui est par ailleurs la commune la moins densément peuplée du Japon : Akazawa et Mogura. Le premier accueillait durant l’époque d’Edo un grand nombre de pèlerins, leur servant d’étape entre le mont Minobu (temple Kuonji) et le mont Shichimen (temple Keishin.) Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Le second hameau possède 60 maisons mais seulement 13 habitants. La plupart sont des akiya (« maisons vides » en japonais), leurs résidents ayant déménagé vers des zones plus proches des centres urbains, afin d’avoir accès aux hôpitaux et aux écoles notamment. Suivant la logique implacable du vieillissement de la population japonaise, la disparition de ces villages et la transformation du paysage rural du pays paraît inévitablement triste, et tristement inévitable.
De retour à l’auberge Kakurinbo après un déjeuner pittoresque dans un restaurant de soba qui avait tout le charme d’une petite hutte de montagne, nous avons eu le privilège d’assister à une conférence captivante sur l’histoire de la culture alimentaire. Ayame Osanai, chercheuse à l’université de Keio et spécialiste de la cuisine bouddhiste traditionnelle shōjin ryōri, nous a même transportés jusqu’au XIIIe siècle nn nous proposant de goûter un repas typique de l’époque du moine Nichiren, fondateur de la secte éponyme à Minobusan. Ce repas frugal, composé de légumes, millet, fèves, et de boisson fermentée amazake, était entièrement végétarien, soulignant que la consommation de viande au Japon n’a réellement débuté qu’à partir de la restauration Meiji (1868), suite à la fin de la politique d’isolationnisme, comme expliqué par Osanai-san.
Le dîner spécial qui a suivi était une délicieuse dégustation d’une variété de plats osechi pourcélébrer le “Petit Nouvel An”, chacun portant une signification particulière : haricots noirs (bonne santé et longue vie), légumes et poisson crus marinés dans du vinaigre, colorés en rouge et blanc (bonne chance), œufs de hareng (prospérité et fertilité), crevette, courbée comme une personne âgée (longue vie), pâte de poisson similaire au surimi (aux couleurs d’un lever de soleil de bon augure), sardines séchées (culture du riz prospère), hareng séché enveloppé dans du kombu (vie heureuse), kumquat (argent), omelette à la pâte de poisson (capacités académiques), coquilles Saint-Jacques (trésor), purée de patates douces surmontée d’une baie de goji, tel un coussin d’argent (richesse).
Enfin, le repas s’achève avec la cuisine shōjin ryōri de Kakurinbo, réalisée majoritairement à base de fèves de soja d’Akebono – une variété locale réputée et unique arborant la certification « Indication Géographique » – sous diverses formes, notamment : du tofu au sésame, de la pâte miso, du natto (fèves fermentées) et du yuba, une texture soyeuse riche en bienfaits nutritionnels, séchée après avoir été prélevée à la surface du lait de soja doucement chauffé.
À noter que nous avons d’ailleurs eu l’occasion durant ce séjour à Kakurinbo de « mettre la main à la pâte » en produisant notre propre miso à partir des fèves d’Akebono. La technique, accessible à tous, consiste à faire tremper les fèves pendant 3 jours, puis les faire bouillir, mélanger l’eau de cuisson avec le kōji (ferment japonais), combiner à nouveau le résultat avec les fèves écrasée… et enfin, laisser fermenter pendant onze mois !
Tous les mets de ce fastueux dîner étaient accompagnés au choix d’un très bon saké local Shunnouten, ou de vins naturels du Domaine Hide assez originaux, dont l’un par exemple a été vieilli non pas en fûts de bois mais en céramique. Le propriétaire du domaine a choisi d’implanter ses vignes dans les Alpes du Sud après avoir exploré 48 sols différents au Japon, convaincu que ces terres offraient le substrat idéal.
La soirée s’est admirablement clôturée avec une résidence d’artistes d’une exceptionnelle qualité et justesse, menée par le virtuose du tambour japonais Shunichiro Kamiya. Il était accompagné de Ryo Yoshimi, orateur et percussionniste, de Tetsuya Okano au shamisen, et de la talentueuse danseuse Oriha Kato. Une expérience artistique privilégiée, qui demeurera vivace dans ma mémoire pour très longtemps.